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Tribulations d'un chon

L'expérience guinéenne

Le concert de Serge Beynaud

22h00. Plein Air (c’est le nom du bar), haut-lieu des nuits n’zerekoroises, animé par l’inénarrable Dj Oskar, qui a trouvé un stratagème imbattable pour récupérer des billets de 5000 gnf : crier ton nom dans le micro, avec beaucoup de larsen, jusqu’à ce que tu craques, généralement au bout d’une dizaine de minutes, et le supplie de se la fermer, moyennant un petit bifton. Nous venons de nous taper une bonne heure de musique guerzée, deux ou trois « Coller la petite », l’intégrale de Maître Black Mhd, et j’en peux plus. Quand, soudain… les jeunes hommes se jettent sur la piste de danse pour entamer une série de mouvements de jambes très rapides et non moins étranges…une intro un peu électro…un beat dépassant les 60 bpm…tiendrait-on enfin quelque chose ? Je me précipite vers des DJ Oskar, pour lui demander le nom de ce chef d’œuvre.

- Ferch Beudo !  crois-je comprendre dans le brouhaha de la mauvaise sono et des exclamations des danseurs en délire.

- Feurch quoi ? Hein ?

- C’est un Ivoirien ! Seurch Bobo !

Je décide alors de me pencher sur son écran pour essayer de comprendre ce qu’il me beugle dans l’oreille avec force postillons, et là, c’est la révélation : Serge Beynaud. Avec un nom pareil, j’aurais imaginé une musique à la Didier Super, mais Serge est sans conteste un monument de la coolitude abidjannaise.

 

Alors ça c'est c'est Serge Beynaud

Vs. Aubin Théa, fleuron de la musique guerzée (et star aussi, dans son genre ennuyeux)

Les mois passent. De temps en temps, j’entends Serge à la radio Liberté FM (qui parfois s’appelle Zaly FM, j’ai pas bien compris si c’était la même station ou bien si deux stations se partageaient la fréquence, mais peu importe). A chaque fois, je ne manque pas à chaque de lâcher un petit soupir d’extase. Et puis, un jour, j’entends puis vois passer dans la rue un cortège de vieux pick-ups avec des banderoles, des hauts-parleurs, et beaucoup de jeunes debout dans la remorque qui agitent les bras. Ils n’annoncent pas la venue du cirque Pinder en ville, ni le début d’une nouvelle guerre civile, mais, et c’est tout de même un cran au-dessus, la venue de SERGE BEYNAUD !!!! A N’Zerekore ! Pour sa première fois en Guinée ! Incroyable ! Ha vous l’avez bien profond, les Conakrykas, hein ! (bon, j’apprendrai ultérieurement que personne à Conakry ne connaît Serge Beynaud…probablement parce qu’ils sont trop loin de la Côte d’Ivoire et, bien sûr, pas assez cools). Surexcitée, j’annonce la bonne nouvelle à tous mes collègues et tente d’en motiver quelques-uns à venir avec moi le 8 octobre dans le stade du 3 avril afin d’acclamer notre grande star bien-aimée internationale. Même Charline est partante, malgré ses réticences initiales (stade de foot + Guinée = parfois une mauvaise idée…cf. les 200 morts et milliers de viols à Conakry en 2009, lors d’une manif de l’opposition, et puis plus récemment le grand foirage du concert de MHD avec jets de pierre et plusieurs blessés).

Mais, pour Serge, et pour faire quelque chose un samedi soir, je n’ai pas peur de risquer ma vie. Il se trouve, de plus, que ce jour-là j’héberge un couchsurfer américain (oui, un couchsurfeur à N’Zerekore, oui ! oui !), qui sera entraîné lui aussi, de gré ou de force, au concert. Mes conjonctions astrales devaient vraiment être au top ce jour-là.

Il est annoncé que le concert début à 14h. Augustin propose qu’on s’y pointe à 18h, mais après d’âpres négociations, nous nous mettons d’accord sur 15h30. C’est déjà le gros bordel devant le stade. Des milliers d’ados sont tenus à distance par les caniveaux et quelques militaires, et hurlent dès qu’ils nous voient « le Blanc !!! Paye-nous un billet !!! ». Mais en bons colons, nous ne tournons même pas la tête et achetons, sous leurs yeux pétrifiés de jalousie, des billets VIP (à 50 000 au lieu de 20 000 gnf, soit 5 euros au lieu de 2 euros).

On remarquera l'erreur sur la date...Ou alors...mais qui ai-je vu en concert le 8 octobre?

Le carré VIP est à la hauteur de nos espérances : une dizaine de rangées de chaises en plastique faisant face à un camion forain où se situe l’estrade, surplombée d’une grande banderole « Bien Venu à Serge Beynaud ». La petite dizaine de militaires censés assurer la sécurité prennent leur rôle très au sérieux, et tentent au début de m’interdire de me lever de ma chaise en plastique pour m’éloigner un peu. Il faut dire qu’on est juste devant les enceintes et que je n’ai pas de boules quiès…Je négocie finalement le droit de me tenir debout à l’écart du carré VIP, et l’Américain me rejoint par compassion (même si, lui, avait pensé à prendre des boules quiès). Une petite ficelle nous sépare de la plèbe trépignant derrière nous (vous sentez le drame arriver ? moi aussi).

Le carré VIP

Le carré VIP


Les premières parties s’enchaînent, dont l’inoubliable chanteur Vitamine, petit homme à longues dreads et costume blanc impeccable, qui vante les méritent du sponsor du concert : la boisson Force Tranquille. Force Tranquille, ce sont des petits sachets d’alcool frelaté avec une image d’éléphant dessus (le nom est assez bien trouvé, non?). 1000 francs, 1000 francs, mais t’es à peu près sûr de devenir aveugle si tu en consommes plus de trois sachets. Force Tranquille est produite par deux Indiens portant des lunettes de mafieux. Ils produisent également une eau minérale en sachet nommée « MAMAN Ma Vie », que nous nous jurons de ne jamais boire. Donc, Vitamine, ça donne ça :

- Force Tranquille, Force Tranquille, il faut boire Force Tranquille

- (les chœurs féminins) Consommeeeeez, consommeeeez

J’ai presque envie d’aller m’acheter un petit sachet, mais personne ne semble en vendre, dommage.


Vers 18h30, Serge Beynaud arrive enfin, dans un gros Land Cruiser. Il fait déjà nuit, et la foule est surexcitée. Commence alors un formidable numéro de danse accompagné de playback. Il faut dire que Serge Beynaud, star du coupé-décalé, est surtout connu pour ses danseuses. Ce que j’apprécie, c’est qu’elles sont grosses et mal sapées, et que tout le monde s’en fout : elles dansent bien et shakent leur booty à un rythme hypnotisant. Et la foule, hypnotisée elle aussi, se fait plus pressante sur les rangées de chaises en plastique, la ficelle ayant cédé depuis longtemps.

Je veux dire... le mec il a fait Ouagadougou, Paris, Montréal et maintenant...N'Zerekore. J'arrive tellement pas à y croire, j'ai presque envie de pleurer.

L’apothéose du concert approche : Serge demande à quatre Forestiers de monter sur scène pour faire un battle de coupé-décalé. Montent deux filles en jean très moulant, un garçon d’une vingtaine d’année avec un chapeau, et l’un des deux mafieux indiens. A chaque round, Serge demande à la foule, pour chaque candidat, « il reste ou bien il descend ? ». Au final, il ne reste que le jeune, qui est le seul à vraiment bien danser. Et là, il doit affronter chacune des danseuses de Serge ! Un rapide coup d’œil en arrière, et je vois que les militaires ont totalement oublié qu’ils étaient là pour assurer la sécurité et crient eux aussi à tue-tête pour que N’Zerekore gagne contre Abidjan.

Juste avant le drame

Juste avant le drame

Quand tout à coup…oui, oui, le drame. La foule pète comme un bouchon de champagne et se déverse sur les chaises en plastique en hurlant. C’est donc comme ça que je vais mourir ? ai-je le temps de penser. A un putain de concert de Serge Beynaud ?! J’attrape l’Américain par la main et on tente de fuir sur le côté, on balance des chaises dans tous les sens pour se frayer un passage. Charline perd une chaussure dans la bataille. On arrive à se retrouver tous, miraculeusement, derrière la Land Cruiser de Serge, pendant que tout le monde crie et que la musique continue (mais elle ne continuera pas bien longtemps), et on décide de s’enfuir sans demander notre reste, clopin-clopant (j’en rajoute à peine : les tibias de l’Américain sont en sang… bah oui il portait un bermuda cet idiot, et mes jambes se sont couvertes d’hématomes au contact du plastique. Charline concluera: "plus jamais je ne porterai un pagne et des tongs à un concert" Même si le pagne, c'est pratique pour aller faire pipi derrière un poteau). Je ne pense pas que Serge reviendra en Guinée de si tôt. Et on ne saura jamais qui a gagné le battle.

Mais qu'à cela ne tienne, dans quelques mois, c'est rebelote. Prochaine date à marquer dans vos agendas : concert de Sidiki Diabaté en janvier 2017!

Sidikiiiii je t'aaaaaime moi aussi! C'est un Malien, il chante en bambara. On arrive même à comprendre quelques mots: "N'bife = je t'aime", "neseeda seela = mon pied sur ton pied", "nboola nboola = ma main sur ta main", "confiance bafouillée = confiance bafouée" (c'est aaaauch!) Alors Elena, ne t'énerve pas, oui son clip est tourné à Paris mais je suis sûre qu'il avait ses papiers! (ou alors j'lui en donne direct)

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G
Ne meurs pas écrasée, juste. ça peut aller assez vite. Et ne chope pas des virus chelous en te mélangeant à plein d'autres gens écorchés.
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G
Mais est-ce que j'ai déjà interdit à quelqu'un de tourner un clip à Paris ? Ok, je m'étais énervée contre Scorsese quand la BSG était fermée à cause de l'un de ses tournages et que j'avais une thèse à finir, mais sinon, je suis super pacifiste.
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